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Table Ronde de la Fédération Européenne de Zootechnie, Bled (Slovénie), 6 septembre 2004
L’intégration européenne: quels atouts et quels risques pour les activités d’élevage et les productions animales ?
Introduction
Jean-Claude Flamant
Tout d’abord, un rappel en introduction de cette Table Ronde, au sujet de la place de cette activité au sein de la FEZ. Son objectif principal est de consacrer du temps et de donner une place au sein de l’emploi du temps des Réunions Annuelles à des discussions sur des questions qui font controverse dans la société à propos du secteur de l’élevage et des productions animales – production, consommation, environnement, etc. Afin d’éclairer ces questions, nous invitons des experts dans les domaines de l’économie, de la sociologie et de la politique que nous n’avons pas l’habitude d’entendre intervenir dans les Séances des Commission d’ Études. Mais je voudrais ajouter qu’un autre objet de ces Tables Rondes est relatif au souhait de la FEZ de mettre en rapport les spécialistes de l’élevage aux grandes questions abordées par les sciences sociales, économiques et politiques, afin d’en avoir une meilleure compréhension, et en intégrer les leçons en tant que citoyens dans leurs propres projets, leurs activités et leurs actions en rapport avec les différentes catégories concernées dans le public.
Le thème de chaque Table Ronde est choisi en relation étroite
avec les événements de l’actualité. C’est pourquoi, ici, à Bled,
l’événement qui fait référence est l’élargissement de l’Union
Européenne intervenu récemment le 1er mai 2004. Quels sont les
bénéfices attendus et les conséquences, positives ou négatives,
de cet élargissement pour l’économie, pour la société, pour les
politiques nationales ? Mais quels sont également les risques
possibles pour les activités agricoles et plus spécialement pour
l’élevage et les productions animales ? A l’évidence, l’intégration
des nouveaux pays dans l’Union Européenne – leur «européanisation» - pose quantités de questions nouvelles qui
vont être abordées au cours de cette Table Ronde. Mais peut-être
le défi majeur, celui qui englobe toutes les autres, est-il le
fossé entre les ambitions positives d’une Europe politique unie
et les conséquences concrètes pour les agriculteurs, les
consommateurs, les citoyens…
Afin de stimuler nos propres réflexions et nos analyses, nous
avons invité d’abord deux spécialistes de l’économie:
Franz Ellendorff Je désire vous décrire comment va se dérouler cette séance. Tout
d’abord nous aurons une brève introduction par chacun des
membres du panel ce qui leur permettra de présenter leur
position par rapport au thème de la Table Ronde, puis une
seconde partie durant laquelle chacun pourra intervenir plus en
profondeur. Puis nous aurons un temps de questions et d’échanges
avec le public. Et finalement nous essaierons de dégager une
conclusion sur l’ensemble du débat. Emil Ervajec Je voudrais discuter ici des questions scientifiques avec le
point de vue de l’économie politique. Tout d’abord, je voudrais
dire qu’au cours des dernières années, et plus spécialement au
cours de la dernière décennie, des changements importants sont
intervenus dans les valeurs publiques et dans la compréhension
politique du secteur de l’élevage en Europe.
Ensuite, il faut faire intervenir dans l’analyse les changements
et la différenciation des dispositions de la politique agricole.
Ces deux changements ont eu également des impacts spécifiques
sur les prix, sur la production, sur le commerce, sur les
structures agricoles, et enfin aussi sur la recherche
zootechnique. Alain Pouliquen Le sujet de ma contribution est le suivant: contrairement à la
plupart des attentes exprimées aux débuts de la transition
post-communiste, les structures agraires des pays d’Europe
centrale et orientale n’ont pas convergé vers le modèle
ouest-européen prédominant d’agriculture familiale «professionnelle».
Le principal mouvement a plutôt été le passage de l’ancienne
structure dualiste vers un nouveau dualisme, particulièrement
marqué en production animale.
Le nouveau contexte – élargissement de l’Union, nouvelle réforme
de la PAC, nouvelles avancées vers la «globalisation» des
marchés – renforcera probablement ce dualisme.
Dans un premier temps, soit à moyen terme, ceci sera
probablement défavorable au niveau global de la production
animale et de l’emploi associé de ces pays. Mais à plus long
terme nous avons de bonnes raisons de prévoir une évolution plus
favorable de cette production. Klaus Meyn Ma contribution va s’attacher aux questions relatives à l’efficacité
et à la compétitivité. Et par-dessus tout, je désire mettre l’accent
sur des questions telles que comment maintenir au niveau maximum
la part des produits animaux provenant des nouveaux pays membres
au sein de l’Union Européenne élargie.
Ma deuxième question est celle de la compatibilité de ces
évolutions avec le maintien d’emplois aussi nombreux que
possible dans les territoires ruraux.
Et ma troisième question est celle de la prise en compte de tous
les règlements qui existent dans l’Union Européenne et auxquels
il faut maintenant se conformer. Franz Ellendorff Dans une Europe plus largement dépendante des consommateurs,
nous avons deux niveaux de responsabilités: premièrement, une
responsabilité de nature globale ; deuxièmement, une
responsabilité de nature locale - c’est-à-dire à l’échelle de l’Europe.
Je considère comme étant tout particulièrement important l’inscription
de chaque niveau de responsabilités dans une perspective de
développement durable – un terme sur-investi et sur-utilisé avec
beaucoup de définitions et de significations différentes.
Le second défi est celui de «produire sûr» - certainement un
des défis majeurs de l’Europe élargie.
Et finalement, un troisième point est relatif à la maîtrise de
l’état sanitaire des animaux ; j’y inclus aussi la question de
la propagation de certaines maladies à travers l’Europe. Emil Ervajec Tout d’abord, un facteur très important qui pousse actuellement
l’environnement économique et social de l’élevage en Europe
provient en fait des changements de la politique agricole
intervenus au cours de ces deux dernières années. Nous avons à
la fois des valeurs qui changent, des objectifs politiques qui
changent, et des mesures qui changent. Nous pouvons caractériser
ces changements par trois éléments: premièrement, des «termes
nouveaux» pour dire la politique ; deuxièmement, un «déplacement de l’intérêt politique» ; troisièmement, de
«nouvelles politiques».
Des «termes nouveaux», qu’est-ce que cela veut dire ?
Maintenant, les décideurs politiques parlent de «multifonctionnalité», de
«modèle européen» de l’agriculture,
de «développement durable», de «découplage»… En fait, la
signification de ces termes et de ces concepts n’est pas claire
du point de vue des perspectives offertes. Le plus souvent ces
termes sont sans réel contenu ; ce sont des termes de nature
politique, dont la valeur est essentiellement symbolique. Ils
donnent de la couleur au changement, mais n’ont pas de
fondements scientifiques valables.
Deuxièmement, «un déplacement de l’intérêt politique». Après
des décennies d’approche très conservatrice, où toute la
politique était orientée vers la production et vers les
producteurs, nous pouvons dire que maintenant il y a un
déplacement de l’attention des politiques depuis les
préoccupations des producteurs vers celles du public. Il s’agit
d’une évolution de la base idéologique. Les décideurs politiques
européens ne changent pas la Politique Agricole Commune en tant
que telle, ils n’en changent pas les objectifs, ceux qui ont été
fixés dans la période suivant la Seconde Guerre Mondiale… Mais
ils sont en train d’en changer les termes et les expressions
pour en assurer une meilleure «promotion» auprès du public. Si
l’on est cynique, on peut dire que cette évolution de la
politique consiste seulement à faire une politique qui parle
plus à l’imaginaire des électeurs.
Et puis, nous avons les «nouvelles politiques» dans le cadre
de l’Europe agricole. Tout d’abord, nous avons un nouveau schéma
pour les aides directes, appelé «paiement unique par
exploitation» qui est très différent de ce qui se faisait par
le passé. Cette politique a deux modèles de référence. Tout d’abord,
le modèle d’origine, celui des droits historiques, basés sur les
droits antérieurs de chaque exploitant, ce qui signifie que les
riches restent les riches, mais qu’ils n’ont pas besoin de
produire de manière aussi intensive, et qu’ils bénéficient d’un
revenu lié à la propriété de leur terre. Et nous avons un modèle
que je dirais plus découplé, mais que j’appellerais aussi plus
moderne et plus intéressant, qui est celui du paiement unique
par hectare pour tous les producteurs d’une même région. Ce
dernier principe devrait conduire de fait à une redistribution
réellement significative des aides entre les exploitations,
spécialement depuis les éleveurs de bovins et d’ovins vers les
exploitants spécialisés en productions végétales.
Tous ces changements sont accompagnés de «nouvelles exigences»
et ont pour conséquence d’introduire des coûts additionnels pour
ceux des producteurs qui vont s’engager dans des systèmes de
production répondant aux faveurs du public. Cette évolution est
symbolisée par le terme de «conditionnalité», qui est encore
un nouveau terme sans définition claire – ce qui pose un réel
problème d’explication de la part des politiques un an après que
la réforme ait été mise en place. Cependant, ces «nouvelles
exigences» vont peser fortement sur le secteur de l’élevage. A
moyen terme, une autre échéance est la fin du régime des quotas
en tant qu’instrument politique: ceci devrait intervenir dans
dix ans. Il y a aussi la fin invisible des subventions à l’exportation,
ce qui signifie la fin des systèmes d’intervention sur les
marchés, qui, d’une certaine manière ont permis durant cinquante
ans de maintenir les prix à un niveau protégé par rapport à
celui des prix du marché mondial. La dernière évolution
significative, importante pour l’élevage européen, est celle de
la politique du développement rural. De nouvelles mesures, avec
un doublement du budget, mais aussi de nouveaux concepts, sont
proposés par la Commission Européenne. Ceci devrait constituer
la véritable réforme de la politique agricole européenne.
Cependant, quelqu’un qui a un regard extérieur pourrait
comprendre qu’elle est plus orientée en fonction des peurs du
public concerné dans les cinq ou six pays les plus riches de
l’Union Européenne qu’en fonction des intérêts de l’agriculture
de l’Europe à 25 dans son ensemble.
Finalement, tous ces changements vont se traduire par de «nouveaux défis économiques» pour les productions animales en
Europe. Premièrement, on n’envisage pas de modifications
concernant le niveau global de consommation. Nous aurons plus ou
moins une stagnation voire une faible augmentation pour le
secteur des productions animales dans son ensemble. Cependant,
les tendances antérieures telles que le transfert de la
consommation de viande rouge vers les viandes blanches, c’est-à-dire
d’une viande grasse vers une viande «sans cholestérol», auront
des impacts significatifs. Ceci est tout particulièrement vrai
pour les nouveaux pays membres, dont le pouvoir d’achat va
évoluer à partir d’un niveau de revenu relativement bas, ce qui
devrait se traduire par une augmentation de la consommation de
tous types de viande et de produits laitiers.
Ensuite, les producteurs vont devoir faire face à de très
importants changements du niveau des prix dans l’Europe à 25.
Nous pouvons prévoir une diminution du prix du lait: avec les
paiements découplés, en fait, l’intérêt du lait du point de vue
du revenu pour les exploitants va réellement s’effriter. Ceci
pourrait conduire avoir pour conséquence un renouveau d’intérêt
pour l’élevage bovin à deux fins. Pour le secteur de la viande,
des modèles prévisionnels réalisés par des groupes d’experts
prédisent une diminution du prix du porc payé au producteur,
mais on peut aussi retenir l’hypothèse d’une augmentation pour
les bovins et les volailles.
Enfin, pour le niveau de production, nous pouvons également dire
que la production de lait, dans l’ensemble de l’Europe à 25,
subira une baisse plus ou moins importante au cours des dix
prochaines années, plus sensible dans les nouveaux pays membres
où les entreprises laitières et les élevages et ne sont pas en
bonne situation de compétitivité par rapport aux anciens pays.
Puis, nous aurons une diminution significative de la production
de viande de bœuf comme conséquence du découplage. Nous aurons
une diminution de la production de viande de porc
particulièrement dans les nouveaux états membres. C’est
peut-être dans le secteur des volailles que les nouveaux États
peuvent espérer avoir une situation plus favorable en matière de
productions animales.
Pour conclure, il y a comme l’a dit Alain Pouliquen, plus ou
moins une amorce de bipolarisation, de «dualisation» de l’agriculture
et de ses systèmes de production: d’une part, des exploitations
agricoles de grande taille, industrielles et très compétitives,
qui peuvent faire vraiment des affaires dans le secteur de l’élevage
; de l’autre, nous aurons de plus en plus de régions où les
fermes de subsistance vont être soumises à de fortes pressions,
et où la pauvreté va progresser… Si je conclus à nouveau dans un
état d’esprit cynique, que dans certaines régions d’Europe nous
pourrions avoir des évolutions similaires à celles que nous
observons chez nos cousins américains, ou comme ce que nous
avons vu au Portugal après l’intégration à la Communauté
Européenne. Ceci veut dire de grandes disparités, et seulement
quelques exploitations et systèmes de production qui auront à
gagner avec de telles évolutions provenant de la «quasi réforme» de la politique agricole.
Alain Pouliquen Rappelons d’abord que la construction institutionnelle et
structurelle du modèle de l’Union Européenne à 15 a bénéficié de
conditions macroéconomiques, sociales et politiques
exceptionnellement favorables depuis les années 50. Depuis 1990,
les conditions beaucoup moins favorables des PECOs et leur
héritage structurel du système antérieur ont généré les
développements suivants, dans des proportions très différentes
selon les pays:1°) conservation ou large extension du secteur
des micro et petites exploitations de subsistance et semi-subsistance: 2°) résistance partielle et consolidation
graduelle de macro-exploitations sociétaires issues des
anciennes fermes collectives et d’état, et de leurs unités
animales après leur décapitalisation initiale ; 3°) émergence
d’un secteur minoritaire de grandes exploitations individuelles,
de type communautaire, principalement issu du secteur sociétaire: mais globalement ce troisième secteur tend à se spécialiser en
grande production végétale, avec une densité animale par hectare
relativement faible…En conséquence le dualisme structurel reste
plus marqué en production animale qu’en production végétale.
Pourtant nous reviendrons plus loin dans notre débat sur la
production laitière où semble apparaître, très, sélectivement,
une minorité de fermes professionnelle de type communautaire,
notamment en Pologne et Lituanie.
Que peut-il arriver dans l’avenir ? Dans un premier temps il y a
des raisons de prévoir la continuation des tendances actuelles,
c’est-à-dire d’un côté l’exclusion graduelle de l’offre du
secteur de semi-subsistance des principaux circuits
agroalimentaires, et, d’un autre côté, l’émergence hautement
sélective de fermes individuelles professionnelles en production
animale. Pourtant il convient de modérer ou dédramatiser quelque
peu les conséquences sociales et structurelles du recul du
secteur de semi-subsistance sur les marchés. En effet, l’accès
croissant aux aides des «deux piliers» de la PAC facilitera la
résistance de ces secteurs. Par ailleurs dans une large part de
ce secteur les revenus familiaux sont très majoritairement
d’origine non agricole: transferts sociaux (principalement les
pensions de retraite), migrations «pendulaires» (quotidiennes
ou hebdomadaires) vers des emplois urbains, et migrations
saisonnières vers les pays de l’UE-15, avec rapatriement d’une
part des salaires dans les familles. C’est une autre voie de
résistance. Y contribueront aussi l’autoconsommation, certaines
spécialités fortement utilisatrices de travail, les ventes
directes locales, et divers types d’ «agriculture organique»
(biologique, fermière…).
En ce qui concerne les macro-exploitations sociétaires, il est
difficile d’entrer ici dans une analyse fine de leurs
perspectives économiques. Mais globalement il est certain
qu’elles tireront des avantages compétitifs (économies d’échelle
dans la production et dans la commercialisation) de leurs
grandes structures, et – après amélioration de leur
productivité- de leurs faibles coûts horaires du travail. De
plus leurs formes sociétaires peuvent fournir des solutions aux
problèmes croissants de succession qu’affrontent les
exploitations familiales ouest-européennes. Mais elles ont aussi
leurs faiblesses. Je pense notamment à la protection légale
insuffisante de l’usage durable de leur base foncière, donc
fourragère, généralement louée, contre son rachat ou sa reprise
en location en grands blocs par des individus ou des holdings
extérieurs. En effet de tels transferts de terres se traduisent
généralement, jusqu’à présent, par une spécialisation accrue en
production végétale, aux dépens de la production animale. De
plus cet effet pourrait bien être amplifié par le système
simplifié d’aide directe par hectare, découplé de la production
effective, et par ses compléments transitoires («top ups»)
souvent recoupés aux superficies consacrées aux grandes
cultures.
Enfin la difficulté d’émergence de l’agriculture professionnelle
intensive, particulièrement dans l’élevage, est essentiellement
due au fait que ces pays ne sont pas en position de construire
vite et massivement le cadre institutionnel et agro-industriel
qui a conditionné le développement de ce type d’agriculture et
d’élevage dans l’UE-15 depuis les années 60. Mais des dynamiques
récentes, dans certaines filières, notamment la branche
laitière, rendent très plausible une relance des productions
animales dans ces pays, au moins à long terme. Franz Ellendorff Le terme
«durabilité», sur lequel on insiste lourdement
aujourd’hui, appelle une attention particulière en élevage, avec
le souci de corriger une hypothèse erronée qui consiste à dire
que l’élevage extensif constitue le modèle qui lui répond le
mieux.
De manière générale, la durabilité consiste à rapporter les
actions d’aujourd’hui à leurs conséquences futures. Un numéro
spécial de «Nature», il y a quelque temps (Nature 418, 667-707,
2002), a été consacré à ce thème. On peut retenir la
définition suivante, courte mais précise: «L’élevage et
l’agriculture durables impliquent l’efficacité la plus élevée
possible avec les conséquences négatives les plus réduites
possibles pour le futur». Je pense que cette définition
constitue une bonne référence pour les activités d’élevage, à
mettre en rapport tout spécialement avec une idée qui progresse
de manière unilatérale selon laquelle les systèmes extensifs
sont la solution pour l’environnement et pour la conservation
des ressources naturelles. L’efficacité la plus élevée possible
avec le moins de dommages possibles pour l’environnement, je
sais évidemment que ceci ne peut s’appliquer à toutes les
situations géographiques en Europe. Les sols, les conditions du
milieu, etc., doivent évidemment être pris en considération.
Pour éclairer ceci, je voudrais vous donner trois exemples, un
chez les vaches laitières, un chez les porcs, et un chez les
volailles.
En vaches laitières: Ici, on considère que la demande en lait
se maintient globalement au même niveau (en ne prenant pas en
considération les changements qui vont intervenir dans les
comportements alimentaires dans des pays tels que la Chine et
l’Inde). Si vous comparez une vache à 4.000 kg de lait par an et
une vache à 2.000… D’abord, vous n’aurez besoin que d’une vache
à 4.000 au lieu de deux à 2.000 pour produire la même quantité
de lait. L’efficacité alimentaire est basée largement sur les
besoins d’entretien qui sont plus élevés avec deux vaches
qu’avec une seule. Les déjections sont à un niveau moindre avec
une vache qu’avec deux vaches. Et il y a une différence
considérable en excrétion de protéine et de phosphore si vous
considérez la production totale.
Le porc: Si nous considérons un gain moyen quotidien à
l’engraissement de 570 g comparé à un gain de 630 g, nous avons
besoin d’une quantité supérieure d’aliments de 22 kg ainsi que
de 65 kg d’eau. Si nous considérons que la disponibilité en eau
est limitée dans de vastes régions du monde, et même dans
certaines régions d’Europe, on comprend que ce besoin
supplémentaire peut avoir un impact réel sur les ressources
naturelles.
Les volailles, finalement … Si nous comparons les systèmes
hautement intensifs (hors-sol) avec des systèmes faiblement
intensifiés, alors le rendement alimentaire est respectivement
de 1,76 kg et 2,8 (selon mes propres observations) ; 50% du
phosphore fourni est excrété dans le système intensif et 67%
dans le système faiblement intensifié. Des profils similaires
sont observés pour les autres composants. Le bilan en termes de
ressources est évident. De plus, si vous admettez que 10% de la
production totale de poulets de l’Europe à 15 provient de
systèmes faiblement intensifs, ceci signifie un besoin de 63.000
tonnes supplémentaires d’aliments par rapport aux systèmes
fortement intensifiés.
Ces trois exemples montrent que les systèmes à faible niveau
d’intensification ne sont pas nécessairement «durables» et ne
correspondent pas à un bon usage des ressources. Et quant à la
sécurité sanitaire des aliments, je pense que les mécanismes mis
en œuvre par les diverses Agences aux niveaux des pays et à
l’intérieur de ceux-ci garantissent le résultat à un niveau
inégalé dans le monde. Klaus Meyn Si vous regardez le secteur de l’élevage en Europe Centrale et
de l’Est dans les pays qui ont accédé à l’Union Européenne, les
trois principaux domaines des productions animales ont des
indices d’efficacité qui se situent seulement aux trois-quarts
de ceux de l’élevage dans les pays de l’Europe à 15. La
différence est énorme. Je sais bien que du fait des prix plus
bas, l’intensité de la production dans ces pays n’est
probablement pas aussi élevée que dans les pays d’Europe
Occidentale. Mais il y a un facteur qui explique principalement
cette différence, c’est le niveau énorme d’intrants
alimentaires, tout particulièrement si ces aliments sont chers,
comme c’est le cas pour la production porcine: cet élevage
n’est pas assez performant, de même que celui des vaches
laitières et celui des bovins à viande. Mais maintenant, comme
les pays Baltes l’ont déjà éprouvé cet été, les règles du jeu
sont devenues totalement différentes. Si vous vous rapprochez du
niveau des prix du lait des pays de l’Union Européenne, vous
pouvez avoir une approche plus intensive de l’alimentation et
cela aura probablement des conséquences. Mais je pense, que
malgré les coûts de main-d’œuvre qui sont relativement bas dans
la plupart des nouveaux pays, le problème est celui du niveau
insuffisant de productivité. Et comme les bonnes technologies de
l’élevage sont connues, il faut se demander comment réaliser de
meilleurs régimes alimentaires, de meilleurs programme
d’amélioration génétique, de meilleures conditions d’habitat et
de conduite, se demander aussi quelles sont les meilleures voies
possibles de transfert par la formation et la vulgarisation et,
si c’est vraiment nécessaire, par l’expérimentation et par la
recherche.
Je voudrais insister sur un second point, celui de l’ensemble de
la filière de production. Nous avons découvert qu’au sein des
pays de l’Union Européenne à 15, l’existence de certains réseaux
organisés de production permettent de réduire les coûts de
production de façon importante et d’obtenir que l’ensemble du
système est plus performant. Je veux dire que si vous avez une
certaine densité des unités de production dans le territoire,
vous obtenez des coûts d’intrants plus bas, vous abaissez aussi
les coûts de commercialisation, avec un retour positif pour les
producteurs qui en bénéficient.
Après ces courtes considérations, je veux en venir à la question
de la compétitivité. Examinons d’abord les conditions
naturelles, avec ses conséquences sur le potentiel de production
d’aliments pour le bétail. Il est évident que les conditions de
pâturage dans pratiquement tous les nouveaux pays de l’Union
Européenne ne sont pas aussi favorables que dans les pays
proches des côtes Atlantiques et de la Mer du Nord. Ainsi, non
seulement ils ne sont pas en bonne position quant à leur
compétitivité, mais probablement leur potentiel de production
fourragère sur les terres cultivées n’est pas pleinement
exploité et appelle de nouveaux développements. De même, on peut
considérer les possibilités de progression pour l’alimentation
en grains des animaux, et j’évoque ici spécialement la
production de maïs grain dans les plaines du Pô ou dans les pays
du sud qui offrent des bases très importantes pour le futur de
l’élevage.
Les besoins en bâtiments d’élevage constituent un autre point.
Les coûts par animal logé dans les nouveaux pays sont plus bas
du fait des coûts plus faibles de la main-d’œuvre et du
matériel. Mais, si vous faites la comparaison avec un éleveur en
Irlande, vous avez besoin de conditions d’habitat meilleures.
Les bâtiments d’élevage doivent être plus solides en rapport
avec le climat.
Du point de vue des structures d’exploitation maintenant - Alain
Pouliquen a déjà insisté sur cet aspect – il y a beaucoup de
petits producteurs familiaux pour lesquels l’efficacité du
travail est insuffisante et, malheureusement, il y a aussi
beaucoup de grandes structures d’élevage dont les conditions de
gestion ne sont pas au niveau voulu, et ceci contribue aussi à
réduire la compétitivité. Il faut avoir en tête que nous avons,
à l’échelle mondiale, principalement dans le secteur laitier,
une tendance lourde à l’accroissement de la taille des
troupeaux. Si vous allez en Nouvelle-Zélande ou aux Etats-Unis,
et également dans les anciens pays de l’Union Européenne, vous
observez cette évolution jour après jour.
Ainsi, globalement, les territoires des nouveaux pays de l’Union
Européenne sont compétitifs du fait des coûts de production
moins élevés mais, il faut faire très attention, des efforts
sont indispensables pour améliorer cette compétitivité ou même
pour la maintenir.
Enfin, il faudrait parler de l’autre volet de la chaîne
alimentaire, c’est-à-dire de la commercialisation. Le
développement des liens est nécessaire pour accéder à de
nouveaux marchés. Mais un problème crucial est celui de la
défense des marchés nationaux ici. L’autre problème est comment
s’introduire sur les marchés des anciens pays de l’Union
Européenne. Emil Ervajec Je pense que jamais nous n’avons été confrontés à une situation
telle que trois facteurs déterminants pour l’agriculture – à
savoir: l’intérêt du public et ses valeurs, les systèmes de
production mis en œuvre, la recherche zootechnique – sont aussi
éloignés les uns des autres. L’intérêt du public et ses valeurs
sont en ce moment très «naïfs» et idéologiques: «biologique», «végétarien»,
«développement durable»… Mais ils ne
concernent pas directement et concrètement les problèmes des
territoires ruraux et de l’agriculture. Nous sommes vraiment
loin d’une nouvelle conception de la politique agricole. Je
souhaite que la phase de réforme actuelle ne soit pas définitive
mais, au contraire, ouvre une nouvelle phase de changements. Les
exploitants agricoles, qui sont encore marqués par l’option
productiviste, ne perçoivent pas que les changements qui
interviennent dans les vues du public et dans les préoccupations
de la société, ont un faible impact sur eux. Ils aimeraient
rester dans l’optique où ils produisent sans que cela perturbe
la société. Dans le développement des systèmes de production,
une nouvelle manière de voir, plus étroitement liée aux attentes
du public, est plus indispensable que jamais.
La difficulté c’est que la recherche zootechnique classique ne
comble pas cet écart: que ce soit au niveau national ou au
niveau de l’Union Européenne, vous ne trouvez plus les domaines
classiques des sciences zootechniques telles que nutrition,
reproduction, sélection… Aujourd’hui, on ne parle plus que de
biologie appliquée, de biotechnologie, etc., et d’autres choses
dites «modernes». Je voudrais dire que ces secteurs sont
d’abord orientés en fonction d’eux-mêmes, pour produire de la
science, mais qu’ils n’apportent aucune valeur ajoutée aux
systèmes de production existants, et qu’ils n’assurent pas de
connexions entre les préoccupations de la société et les
orientations des éleveurs. Certes, ce n’est pas une obligation
pour la recherche, mais qui assume la responsabilité du futur
des systèmes de production et du progrès technologique ? Donc,
nous avons besoin aussi de réorienter la recherche, de concevoir
de nouveaux programmes de recherche zootechnique – ce qui veut
dire de manière hérétique moins de génétique, mais une approche
plus heuristique, et de nouvelles valeurs… D’accord, ceci est
également «naïf». Franz Ellendorff Je voudrais dès à
présent poser une question. A propos des préoccupations du
public, de ce que l’on appelle l’opinion, je voudrais
identifier trois points. Il y a un premier sujet de
préoccupation, réel, que je ressens comme tel, qui est celui
du manque d’information. Ensuite, vous en avez un second qui
est probablement de nature opportuniste: «Je suis intéressé parce
que je peux gagner des parts de marché». Et la nature du
troisième type de préoccupation est celle du pouvoir.
L’opinion réagit en disant quelque chose comme suit: «J’ai un problème
avec la législation Européenne qui dit que…», que ce soit vrai
ou non, nous savons combien des préoccupations de cette nature
ont du poids. Etes-vous d’accord avec ça ? Emil Ervajec Je suis d’accord avec le fait que nous vivons dans un monde très
bureaucratique et très politique. Et que personne ne comprend
réellement ce qui se passe. Et que chaque point de vue pose le
problème d’être compris ou non par un autre. Qu’est-ce que
l’opinion ? Je pense que ses ressorts sont largement de nature
politique et émotionnelle. La source est dans le débat public où
puisent les politiciens… et finalement nous voyons que tout ceci
est irrationnel. Que c’est contre l’esprit logique et
scientifique… Mais qu’est-ce que je peux y faire ? Je pense que
la recherche zootechnique doit faire face à une demande
croissante provenant de ses nouveaux rapports à la politique.
Mais parfois, nous devons également repenser nos propres règles
et nos obligations. Alain Pouliquen Bien sûr il y a la nécessaire amélioration de productivité.
Atteindre seulement la moitié de la productivité du travail
agricole moyenne de l’Europe à 15 impliquerait la disparition
d’environ 4 millions d’emplois agricoles à l’échelle des dix
PECOs nouveaux membres et prochains entrants (Roumanie et
Bulgarie). Mais les processus réels ne suivront pas ce scénario
catastrophique - qui pourrait frapper plus aisément l’industrie
– parce que le «secteur» qui est ici impliqué n’est en fait
que partiellement «agricole». Nous devons bien réaliser qu’une
grande partie des agriculteurs relevant du mode de subsistance
et de semi-subsistance obtiennent, je le répète, une large part
de leurs revenus familiaux à l’extérieur de leurs exploitations,
ce qui permet à une large part de leur emploi agricole sous
productif de résister durablement, comme seule alternative au
chômage. Bien entendu, ceci n’exclut pas les cas
d’appauvrissement, dans certaines régions de l’est de la Pologne
par exemple, quand les revenus non agricoles des familles
concernées ne sont pas suffisants pour compenser leur exclusion
de la collecte de lait, qui a résulté de la fermeture récente de
laiteries et abattoirs, incapables d’atteindre les normes
sanitaires de l’UE. Dans ces régions notamment, il y a et il y
aura clairement un problème réel. Mais en même temps nous
entendons parler de migrations saisonnières d’agriculteurs de
ces régions vers des emplois à l’ouest de l’Europe, par exemple
pour la cueillette de pommes en Allemagne. Ceci ne nous autorise
pas à nier le problème, mais nous ne devons pas le considérer
globalement comme aussi catastrophique qu’à première vue.
L’accès à l’ensemble des aides communautaires (aides directes,
développement rural, certains volets des fonds structurels)
contribuera aussi beaucoup à la survie durable du secteur de
subsistance et de semi-subsistance. En effet les aides directes
de base, croissant de 25% du niveau de l’UE-15 en 2004 à 100%
en 2013, transitoirement complétées par les «topups» nationaux de
35%, ne seront pas une ressource négligeable pour les familles
paysannes de nombreuses régions. Une raison est que le pouvoir
d’achat d’un Euro en biens de consommation y est double ou
triple de ce qu’il est dans l’UE-15, en France par exemple.
On évoque aussi, bien souvent, le potentiel de l’agriculture
dite «organique» pour les petites exploitations de ces pays.
Il me semble quelque peu exagéré, car on sous-estime souvent la
nécessité de l’organisation collective efficiente de ce type de
production, pour pleinement valider ses qualités particulières
sur ses marchés potentiels à haut pouvoir d’achat, qui sont
essentiellement en Allemagne et plus généralement dans
l’ex-UE15. Toutefois la croissance de ce segment - encore
extrêmement minoritaire - est déjà clairement amorcée. Ce sera
donc aussi une voie de résistance pour une petite minorité
d’exploitations.
Enfin il faut garder à l’esprit le «fait têtu» que - du fait
du chômage global - beaucoup d’agriculteurs des PECOs n’ont tout
simplement pas d’alternative à la survie sur le mode de
l’agriculture de subsistance ou semi-subsistance, et que, dans
ces conditions, garder leur terre correspond à une logique
patrimoniale rationnelle.
Au total, si on prend en considération cette contrainte et
toutes les ressources d’une résistance prolongée de
l’agriculture de subsistance et semi-subsistance, il est tout à
fait plausible que - contrairement à l’histoire précédente de
l’UE-15 - une part importante (par exemple 25%, voire davantage)
des terres agricoles de certains nouveaux et prochains pays
membres restent durablement occupées par ce secteur, malgré le
déclin de son revenu agricole. Après tout, vu l’abondance
relative de terres par habitant dans la plupart de ces pays, ce
pourrait être un meilleur usage de ces terres, aux plans social
et macroéconomique, que la généralisation à tout prix de
l’agriculture et de l’élevage intensifs. Les précédents
minoritaires de l’UE15, notamment au nord du Portugal et dans
certaines régions montagneuses, illustrent les bénéfices globaux
d’une telle résistance «multifonctionnelle», adéquatement
soutenue, pour la préservation de la vie et du patrimoine
ruraux. Franz Ellendorff Klaus Meyn, du point de vue des territoires ruraux, voyez-vous
quelques dangers ou quelques avantages liés à l’élargissement,
et comment les prendre en considération dans leurs rapports avec
le volet production ? Klaus Meyn Un des domaines qui semblait offrir les meilleures chances de
développement c’est le lait, mais cette production est soumise
au régime des quotas. Ce qui signifie qu’il y a une limitation
aux possibilités de développement. L’autre domaine de
compétitivité où il y a réellement beaucoup de personnes
impliquées est celui de l’élevage porcin. Nous devons en
discuter. Et il y a peut-être aussi des possibilités pour la
production de viande bovine. Quant à la production de volailles,
il s’agit d’une activité très standardisée, pour laquelle
l’effet d’échelle constitue un facteur qui agit partout dans le
monde. C’est pourquoi la production de volaille ne mobilise que
peu de main-d’œuvre. Son niveau de performance est le même
partout, avec une progression de sa production – la production
de viande de volaille progresse à l’échelle mondiale – c’est son
évolution naturelle. La viande de volaille est la moins chère,
et en conséquence sa part dans la production est de plus en plus
grande. La viande de porc maintient sa contribution et celle de
la viande de bœuf est en diminution. Il s’agit d’évolutions à
l’échelle mondiale.
Voilà pour les bénéfices et les coûts. Mais si nous nous
tournons vers les risques, sur lesquels Alain Pouliquen a
apporté de nombreux éléments, nous prenons en considération les
questions des gens et de la possibilité de faire en sorte que le
maximum d’entre eux bénéficient de ces évolutions. J’ai dit que
le porc et le lait sont probablement les activités qui sont les
plus intensives en ce qui concerne la main-d’œuvre, et c’est
pourquoi c’est là qu’il faut mettre en œuvre les dispositifs les
plus adaptés pour maintenir autant de population que possible.
L’intérêt réside là dans le fait que ces filières nécessitent
beaucoup de monde à tous les niveaux. Par exemple, si un des
nouveaux pays veut pénétrer les marchés des pays de l’Europe
occidentale, il doit réaliser une parfaite maîtrise de sa
production et donc mobiliser la main-d’œuvre nécessaire, ce qui
va avoir pour conséquence une augmentation du coût de
production, mais c’est la seule chance pour pénétrer le marché.
Comme le coût de la main-d’œuvre est beaucoup moins élevé, vous
êtes moins chers pour faire le même travail que, par exemple,
dans le contexte de l’Allemagne.
Emil Ervajec a déjà dit quelque chose que je considère très
important… J’admire ce qu’ont fait les Slovènes, comment ils ont
défini leur politique dans la perspective de leur accession
comme pays membre de l’Union Européenne. Ils semblent être
parvenus à en maximiser les bénéfices. Et je le crois en me
référant aux nouvelles décisions qui ont été prises au niveau
de Bruxelles. Il y a cependant une question qui reste ouverte: y-a-t-il un futur pour l’élevage des vaches allaitantes, ou bien
est-il plus correct de penser aux races à double fin ? Les
vaches de type mixte en effet ont une production individuelle de
lait moins élevée, mais elles produisent un veau lourd, que
rechercheront les engraisseurs européens, dans votre propre pays
ou dans un pays d’Europe de l’ouest, et ainsi vous pourrez
maximiser le revenu de l’élevage bovin dans le cadre de la
politique des quotas. Franz Ellendorff J’ai une autre question. Est-il vrai, que pour les situations où
la terre est un facteur limitant, ce qui est le cas de la
plupart des petits exploitants en nombre important dans
pratiquement tous les nouveaux pays membres… il serait
intéressant pour eux qu’ils adoptent des productions qui
seraient plus indépendantes du sol, telles que l’élevage
intensif de volaille ou de porc ? Peut-on dire que cela pourrait
être une chance pour eux ? Il y a tellement de main-d’œuvre
familiale sous-employée dans ces régions où ils ne peuvent pas
trouver la terre dont ils ont besoin. Alain Pouliquen Paradoxalement les productions animales (avicoles et porcines)
«hors-sol», ou semi hors-sol (fortement dépendantes d’achats
fourragers), sont beaucoup moins développées dans les nouveaux
et prochains pays membres que dans l’Union Européenne à 15. On
n’y trouve pas encore des bassins régionaux spécialisés dans ces
productions, comme en Hollande ou en Bretagne, mais seulement
quelques amorces de telles réalités. C’est un paradoxe car ce
pourrait être une solution, par exemple en Pologne, pour
contourner l’obstacle de structures foncières très fragmentées,
comme cela a été historiquement le cas dans les bassins
spécialisés de l’Union Européenne à 15. D’autant plus que dans
plusieurs PECOs, il y a surabondance de candidats potentiels
parmi les jeunes agriculteurs actuellement sous-employés et mal
employés. Pourquoi donc un si faible développement relatif en 13
ans d’économie de marché ? Je ne vois pas d’autre explication
essentielle que la faiblesse de l’environnement agro-industriel
requis en amont et en aval de l’élevage intensif, outre celle de
l’organisation collective des producteurs. En Bretagne par
exemple il y a eu une synergie évidente, durant 40 ans, entre
l’explosion de l’élevage intensif - plus ou moins hors-sol - et
le développement graduel d’un puissant système régional,
coopératif et privé, d’industries des aliments concentrés,
d’abattage et découpe, de laiteries, de sélection animale et
végétale, de transports spécialisés, de groupements de
producteurs, syndicats et conseil spécialisés, etc. Dans les
nouveaux pays membres, l’émergence graduelle de tels systèmes
est et sera stimulée par un fort potentiel de rentes
différentielles de productivité, de bas coût de main d’œuvre, et
de proximité de marchés en expansion, qui attireront des
investissements et du savoir-faire d’opérateurs ouest-européens
(par exemple danois). Mais une telle construction prendra du
temps. Dans une première phase en cours, elle ne s’engage que
très sélectivement dans certaines conditions locales favorables.
Emil Ervajec Je ne suis pas d’accord que les petites exploitations disposent
d’un réel potentiel de développement pour le futur. Elles sont
inséparables de contraintes très fortes de nature humaine
particulièrement dans les nouveaux pays membres: les
propriétaires de ces petits élevages sont âgés, avec un niveau
d’éducation bas et une faible capacité d’initiative, et ces
élevages ont d’abord une fonction de subsistance. Je pense que
le développement va se faire dans le sens des plus grandes
structures d’exploitation, certaines sur un mode très extensif
avec des fonctions d’aménagement du territoire, et d’autres
organisées sur un mode industriel. Mais je ne vois pas de
possibilité pour le développement de l’élevage dans de petites
unités tout particulièrement dans les nouveaux pays membres.
Klaus Meyn Je voudrais souligner l’intérêt de la production laitière comme
étant la plus adaptée pour les petits propriétaires, parce que
c’est la forme la plus intensive du point de vue du travail. Le
seul défaut est que les exigences concernant la qualité du lait
sont devenues si contraignantes que très souvent les petits
éleveurs, qui ne peuvent pas les satisfaire, abandonnent. Mais
cette production est plus adaptée aux petites structures que la
production porcine. Les éleveurs de porcs qui ont réussi sont
ceux qui ont eu un développement rapide et ils vont devenir de
gros producteurs… Je pense que nous devons avoir ça en tête.
Mais si vous avez besoin de terre, je pense qu’il y a une autre
possibilité qui mérite d’être envisagée. Pourquoi ne pas
développer un marché du foncier dans les territoires ruraux
vivants tel que la terre n’a pas besoin d’être achetée mais peut
être louée ? Ce serait une approche moderne pour beaucoup de ces
pays. Alain Pouliquen C’est une parfaite illustration de ce que j’ai mentionné à
propos de l’inadéquation du cadre légal et institutionnel dans
le cas de la politique foncière. Mais dans ce cas nous touchons
une réalité sociale et politique: dans plusieurs pays nouveaux
membres importants, la population concernée par l’agriculture,
principalement les petits propriétaires fonciers, est très
nombreuse. Son poids électoral est donc important et elle a joué
un rôle-clé dans les coalitions gouvernementales, notamment en
Pologne et en Hongrie. Ce n’est donc pas par hasard si tout
projet visant à donner plus de sécurité aux locataires de
terres, de manière analogue au «Statut du Fermage» en France
(baux de 9 ans au minimum, généralement renouvelables), s’y
heurte – à mon avis très logiquement – aux représentants des
petits propriétaires, dont l’immense majorité est sans avenir
dans l’agriculture professionnelle. De plus ces derniers ne
veulent pas voir les dirigeants des grandes exploitations
ex-collectives ou ex-étatiques devenir de grands propriétaires
fonciers, ou des quasi-propriétaires par le biais de locations
durablement consolidées. Pourtant cette consolidation du fermage
est cruciale pour l’avenir économique des grandes exploitations
professionnelles et sociétaires. Emil Ervajec Je pense que le marché des terres locatives est une idée
magnifique mais est aussi une illusion parfaite. Pour que ce
système soit efficace vous avez besoin d’un État bien organisé,
moderne et efficace. Ce n’est pas le cas des nouveaux États
membres, et ce n’est pas le cas dans la majorité des anciens
États. Donc je pense que théoriquement, d’accord, mais en
pratique non ! Franz Ellendorff Nous abordons maintenant le dernier sujet: quels sont les
enjeux concernant la recherche scientifique, quel est le rôle et
les finalités de la recherche zootechnique ? Nous avons déjà
identifié un thème important: nous avons besoin de solutions
créatives. Je voudrais demander aux membres du panel qu’elle est
leur position à propos des futurs besoins de la recherche
zootechnique, pas seulement en reproduction et sélection, mais
en sciences animales en général. Emil Ervajec Je pense que nous pouvons distinguer les possibilités de la
recherche zootechnique selon que l’on envisage les anciens et
les nouveaux pays membres. Et je considère que l’âge d’or des
sciences zootechniques fait partie du passé dans les anciens
membres, mais nous avons besoin d’une réorientation beaucoup
plus systémique, comme je l’ai mentionné avant, dans le sens
d’un nouveau partenariat entre les chercheurs et entre les
disciplines, avec plus d’intérêt pour l’environnement, plus
d’intérêt pour les nouveaux systèmes de production en rapport
avec les nouveaux sujets de préoccupation du public. Cependant
dans les pays nouveaux membres, j’accorde plus d’intérêt à la
recherche technologique dans lesquels, à mon avis, il faut que
la recherche zootechnique soit mise au niveau voulu. Je pense
qu’il est dangereux que nous ayons dans la partie occidentale de
l’Europe une recherche zootechnique très riche en termes de
moyens, et que nous restions si peu organisés, avec si peu de
moyens et des ambitions réduites dans les pays nouveaux membres.
Je pense qu’il est souhaitable, et j’aimerais le voir dans le
futur, que soient créés de nouveaux centres de recherche
zootechnique, dans le cadre d’organismes modernes. Je ne vois
pas pourquoi l’INRA, parce que je sais qu’il y a beaucoup de
moyens en France, alors que l’on dit que «tout est maintenant
connu» - je fais de la provocation – je ne vois pas pourquoi
l’INRA ne créerait pas quelques centres de recherche en Pologne,
ou bien le Forschungsgemeinschaft allemand en Hongrie. De même
avec des centres de formation. Nous devons développer les
productions animales et la recherche zootechnique dans les
nouveaux pays membres.
Mais finalement, je voudrais dire que nous devons finir de
parler de la division entre les anciens et les nouveaux membres,
entre l’ouest et les autres, etc. Je pense que nous devons
parler de recherche zootechnique en Europe et je pense que le
problème de la production laitière moins performante en Pologne
est le problème de l’Europe tout entière et pas seulement le
problème de la Pologne ou des pays d’Europe Centrale. Alain Pouliquen Il me semble que tout notre débat illustre bien la prise en
compte par la recherche de l’approche en termes de systèmes
d’élevage, une conception qui prend en compte la complexité des
déterminations et des interrelations en jeu dans les conditions
qui sont celles des nouveaux pays membres. C’est ma seule
remarque en tant qu’économiste, non chercheur en zootechnie.
Klaus Meyn Je ne voudrais pas trop insister sur la recherche technologique
– nous avons d’abord besoin de formation et de vulgarisation,
parce que beaucoup de choses sont connues de par le monde, et
que nous n’avons pas tellement besoin de nouvelles technologies.
Cependant nous avons un énorme déficit de connaissances dans des
domaines qui sont relativement nouveaux: le bien-être animal,
ou les pollutions, ou les effets induits par certains facteurs.
Ainsi par exemple, je peux vous parler de recherches sur le
bien-être animal qui ont été financées par notre organisation,
relatives à certaines règles de l’Union Européenne auxquelles il
faut se conformer pour le transport des animaux. Notre
organisation rassemble de très nombreux éleveurs producteurs
d’animaux reproducteurs qui exportent des génisses pleines. Et
nous avons constaté que les règles à respecter étaient pour
certaines d’entre elles totalement erronées. Ainsi, il faut
faire descendre les animaux puis les faire remonter après un
certain temps de repos. A la descente du moyen de transport, il
y a un premier stress que ne subissent pas les animaux qui
restent dans le camion, et ensuite dans les lieux de repos les
animaux se transmettent certaines maladies. Ainsi, je considère
que nous avons un besoin de fondements scientifiques plus
solides, ceux qui devraient être à la base des règlements à
respecter. Franz Ellendorff Une priorité pour la recherche me semble résider dans l’approche
globale des systèmes de production plutôt que sur des
composantes élémentaires. Une telle approche me paraît
particulièrement intéressante dans le contexte de l’Europe à 25.
Il ne s’agit pas uniquement des chercheurs sur les productions
animales: les chercheurs sur les végétaux, les économistes, les
nutritionnistes et probablement aussi les sociologues doivent
être sollicités pour effectuer l’évaluation de l’impact des
systèmes d’élevage sur les animaux eux-mêmes, sur
l’environnement et sur les populations rurales.
Le premier champ que nous devons couvrir est celui de l’analyse
des systèmes existants, particulièrement ceux qui sont
considérés comme étant en pointe, quelles que soient les raisons
– politiques ou autres – ou ceux qui se situent dans la ligne
des évolutions tendancielles. La perception du public de
certains systèmes de production est plutôt indifférente dans
certains cas et négative dans d’autres. L’objectif consiste à
apporter une information objective à la population et en même
temps alerter les producteurs sur les problèmes existants et
leur fournir des éléments susceptibles d’améliorer leurs
systèmes de production. Les dimensions géographiques,
topographiques, climatiques et autres nécessitent d’être pris en
considération et doivent être situés au sein d’une étude
analytique d’ensemble.
Nous avons réalisé une étude modèle dans cette optique avec la
production, de poulets. Des résultats significatifs ont été
obtenus sur la qualité des produits et sur la capacité des
consommateurs à distinguer des produits provenant de systèmes de
production différents. C’est pourquoi l’approche
interdisciplinaire pour l’analyse des systèmes de production,
avec la préoccupation de les améliorer, constitue une tâche
majeure. Les résultats peuvent conduire également à mieux
comprendre les raisons du succès dans certaines parties de
l’Europe ou même dans certaines régions, et pourquoi certains
systèmes de production ne sont pas viables dans les conditions
concrètes de leur mise en œuvre. Nous pouvons avoir des
situations qui sont favorables à des systèmes hautement
intensifs, et d’autres à des systèmes faiblement intensifiés ;
vous avez des sites de production où vous êtes contraints à ne
pratiquer qu’un seul type de système, par exemple les régions
d’herbages où vous ne pouvez pas faire autre chose que la
production de viande bovine ou le lait.
La deuxième orientation majeure pour la recherche concerne les
nouvelles technologies, et ceci dans plusieurs domaines. Il
n’est plus question de savoir s’il faut ou non mettre en œuvre
les nouvelles technologies, mais comment les employer. Elles
peuvent être en accord avec les perceptions de la population et
elles peuvent aussi être testées de manière critique avant que
la perception du public ne lui attache des considérations
négatives. Mais nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les
futurs développements des nouvelles technologies. Par exemple,
il est indispensable de disposer d’outils adaptés à la question
des maladies émergentes – outils qui ont pour base les progrès
réalisés en matière de biologie moléculaire.
Les recherches dans le domaine de la reproduction sont également
de grande importance pour le futur. Par exemple la détermination
du sexe, consistant à utiliser des spermes sexés de telle
manière que cela détermine le sexe des descendants. La recherche
pourrait apporter aussi des solutions à plusieurs problèmes qui
font l’objet de débats publics relatifs au bien-être et au
transport des animaux. Il faudrait aussi se préoccuper de
l’amélioration du revenu des producteurs. Le transfert
d’embryons est devenu une technique courante, et beaucoup plus
encore l’insémination artificielle. La recherche doit continuer
ses travaux même dans des secteurs où seulement de faibles
progrès ont été obtenus sur le plan pratique – je pense au
clonage et à la transgenèse… Je suis sûr qu’il y a là une
question très «chaude» dans l’opinion publique, à propos de
laquelle les consommateurs se considèrent très concernés.
Néanmoins, cela ne doit pas conduire à des préventions vis-à-vis
de la science, qui l’empêcherait de continuer et de développer
de meilleurs outils et de meilleures possibilités qui seront
éventuellement dans la ligne des demandes des consommateurs, de
leurs craintes comme de leurs interrogations. Ce n’est que très
rarement qu’une nouvelle technologie parvient rapidement au
stade de l’application pratique. Je pense que comme chercheurs
nous sommes responsables des avancées. La génomique, à la
confluence des interactions entre génétique, physiologie,
biotechnologie, et bio-informatique est certainement une des
voies du futur pour la recherche. Jože Verbič (Slovénie) Je voudrais poser une question à propos de la compétitivité des
unités d’élevage intensives de grande taille. Est-ce que
quelqu’un a calculé le coût de la crise de l’ESB et en a évalué
le prix pour le lait produit avec des farines de viande et d’os
? Parce que ce type de situation se renouvelle à propos d’autres
problèmes, par exemple celui des antibiotiques et d’autres
substances qui peuvent se retrouver dans le lait. Le problème
aujourd’hui est que si les coûts des contrôles devaient être
couverts par le système d’élevage complet… Ce que je veux dire
c’est que les grandes structures de production devraient payer
tout le coût des contrôles liés à ces problèmes qui ne sont pas
dus aux petits élevages. Klaus Meyn Malheureusement l’ESB n’est pas une maladie liée à la taille des
élevages. C’est un problème. La maladie de l’ESB n’a rien à voir
avec le fait qu’il s’agisse de petits ou de gros élevages. Elle
intervient chez des animaux qui ont consommé de la farine de
viande et d’os contaminée. En conséquence, je ne peux considérer
cela comme étant une véritable question. Cela a été une très
difficile affaire, que j’ai eu à subir très durement et
personnellement dans le cadre de mon travail durant les années
où elle s’est manifestée. Mais je ne pense pas que l’on puisse
la mettre en rapport avec les grands élevages.
Ensuite vous avez mentionné la question des antibiotiques. Il y
a des règles à respecter comme je l’ai mentionné et auxquelles
il faut obéir, et les difficultés vont s’accentuer. Et le
contrôle lui-même rencontre des difficultés. En conséquence, la
maîtrise de la production est un enjeu vraiment important pour
le futur: il faut que vous ayez un dispositif de contrôle, que
les éleveurs soient conseillés, que par exemple s’ils achètent
de l’aliment qu’il y ait un très haut degré de garantie que cet
aliment ne soit pas contaminé, que les règles ont été
respectées. Malheureusement, dans le passé, ce dispositif
n’existait pas. C’est pourquoi, c’est au Royaume-Uni d’abord,
puis dans d’autres pays, que l’ESB a provoqué ses dégâts. Franz Ellendorff Oui, et il faut probablement souligner que la Suisse, qui
certainement n’est pas un pays de grands élevages, a été
fortement touchée par l’ESB. Ce qui est intéressant à suivre,
c’est que récemment, on a vu apparaître des cas de vaches
atteintes de l’ESB sans avoir consommé de farine de viande et
d’os. Jože Verbič Je m’explique. J’ai voulu parler des systèmes intensifs de
grande taille. Quand on examine les raisons biologiques pour
l’usage de farine de viande et d’os, il s’agit de vaches avec
des lactations qui demandent des protéines alimentaires non
dégradables dont les besoins ne peuvent être satisfaits avec les
sources habituelles de protéines. D’où le recours aux farines de
viande et d’os dans la ration alimentaire. Voilà la raison
réelle, c’est pourquoi l’ESB est bien liée à l’intensification
de la production laitière. Klaus Meyn D’accord. Nous parlons de ruminants et les ruminants peuvent
également transformer les protéines au niveau du rumen. En fait,
il s’agit d’une question essentiellement de nature économique.
Traditionnellement, le prix des protéines d’origine animale
était le double du prix des protéines d’origine végétale. Alors,
il n’y avait pas de danger. Mais, quand soudain, les farines de
viande sont devenues bon marché parce qu’il n’y avait pas
d’autre débouché, tout a été changé, et ce furent tous ces
accidents. John Hodges (Royaume-Uni) C’est vraiment une chose formidable que nous ayons maintenant
une Europe composée de 25 pays. Et il est aussi vraiment facile
pour nous qui appartenons aux 15 anciens pays comme à ceux des
dix nouveaux, de considérer, peut-être de manière non délibérée
mais implicite en tout cas, que nous trouvons dans les pays de
l’ouest un bon modèle pour l’agriculture et que les dix nouveaux
pays feraient bien de l’adopter. Donc, nous avons tendance à
parler de productivité, et d’efficacité, et de compétitivité, et
à dire que la voie que nous devons suivre est bien celle-là. Je
pense que c’est un problème qui mériterait d’être beaucoup plus
pris en considération par les membres du panel. Pourquoi ? parce
que ce modèle est celui qui a produit de nombreux problèmes, des
problèmes de pollutions de l’environnement, des problèmes
d’excédents, des problèmes de qualité des produits aussi, de
pollution de l’air et de l’eau. Nous sommes obligés d’y
consacrer une énorme quantité d’argent, des milliards. Alors
est-ce vraiment et définitivement le meilleur modèle ? D’accord,
nous savons que la Politique Agricole Commune est en cours de
réforme et que les nouveaux objectifs vont maintenant avoir pour
but de promouvoir la qualité de la vie dans les territoires
ruraux, avec une préoccupation de développement durable pour
l’agriculture, pour l’environnement, pour l’économie. Alors, je
ressens que ces nouvelles perspectives politiques qui vont
bientôt influencer fortement l’agriculture dans les pays
d’Europe Centrale, devraient être plus présentes dans cette
discussion. J’ai été très heureux d’entendre le collègue Slovène
qui a pris la parole appeler à ce que les chercheurs
zootechniciens soient plus imaginatifs pour trouver des
solutions innovantes en rapport avec les nouveaux critères qui
sont ceux de la réforme de la PAC. Donc, prenant en
considération que les subventions seront en place au moins
jusqu’en 2012, et probablement au-delà, je me demande pourquoi
met-on autant d’insistance sur l’efficacité biologique et sur
l’efficacité des systèmes, et d’autres choses du même ordre qui
ont en fait été à l’origine de tant de problèmes au sein du
système en vigueur dans l’Europe des 15. Klaus Meyn Merci pour ces commentaires. Il est probablement vrai que nous
avons beaucoup trop parlé des effets positifs attendus de
l’amélioration de l’efficacité. Mais un des objectifs, qui est à
mon sens le plus important, est que les éleveurs puissent
survivre et gagner leur vie dans les conditions du marché. Et
c’est pourquoi, j’ai fait référence à ces contraintes si
nombreuses, à toutes ces règles que l’Union Européenne a
introduit, et qui sont en faveur de systèmes de production
durables, et qui imposent tout un paquet de règles à suivre par
les producteurs. Mais j’espère que vous pouvez être d’accord
avec moi que le principal objectif est de garder le plus grand
nombre possible d’actifs qui obtiennent un revenu au sein du
secteur de l’élevage. Pour moi, c’est l’objectif majeur, celui
qui est le plus important en regard de tous les autres aspects
que vous avez mentionnés. Franz Ellendorff Qu’est-ce que c’est que l’efficacité ? Accroître l’efficacité et
le rendement énergétique ne signifie pas forcément accroître les
quantités produites. Il s’agit seulement d’améliorer le rapport
output/input. Et ceci est toujours légitime. Mais vous devez
toujours tenir compte que ceci doit se faire avec le moins de
dommage pour l’environnement, avec un moindre puisement dans les
ressources. Je voudrais insister encore sur le fait que
l’amélioration de l’efficacité ne peut être que bénéfique, sauf
si vous atteignez un point où l’état sanitaire se dégrade, ou si
compromettez la qualité des produits. Mais si vous améliorer le
rendement à l’intérieur de certaines limites, de la physiologie
animale et de la génétique, je ne vois pas où est le problème.
Cled Thomas (Royaume-Uni) Je me demande si vous ne pourriez pas considérer un scénario à
plus long terme. John Hodges dit que 2012 est déjà un horizon
lointain. En fait, ce n’est pas vraiment un horizon de long
terme en référence aux cycles agricoles. Le vrai scénario est
que l’actuelle réforme de la PAC, qui affecte à la fois les
anciens membres de l’Union Européenne et les nouveaux, est
seulement le premier barreau d’une échelle. Je pense qu’il y
aura d’autres réformes par la suite: nous n’en sommes qu’à la
première étape d’une réforme qui doit conduire à supprimer
toutes les aides à l’agriculture en Europe. Je pense qu’il nous
faut considérer le devenir des systèmes d’élevage et des
productions animales au sein d’un tel scénario. Aujourd’hui, il
ne semble pas qu’une telle option soit recevable par les
populations des territoires ruraux. Mais elle le sera dans le
futur dans le cadre d’une politique sociale et non dans le cadre
d’une politique agricole. Ceci ne veut pas dire qu’on ne
s’occupera pas des biens environnementaux, puisque ces biens
seront rémunérés par les pouvoirs publics dans le cadre d’une
contractualisation. Je pense que c’est un scénario de long terme
tout à fait acceptable, notamment par les entreprises de
productions animales qui pourront ainsi être compétitives à
l’échelle mondiale ou être à même de produire des biens de
nature environnementale. Pouvez-vous prendre en considération ce
scénario après 2012 ? Emil Ervajec Je pense que la situation est gelée jusqu’à 2013 pour la
Politique Agricole Commune. Le volume des fonds pour
l’agriculture va rester plus ou moins au même niveau. Et la
proposition de la Commission pour le budget 2007-2013, qui sera
probablement adoptée l’an prochain, est que la part consacrée à
une importante politique de développement rural sera accrue en
volume et élargie quant aux secteurs concernés. En fait, la PAC
est en train de prendre une nouvelle direction, de s’éloigner
d’un soutien à l’agriculture vers un soutien au développement
rural. Ceci est une vue très optimiste, car je pense que les
décideurs politiques font une erreur. Ils changent le système,
ils changent la politique, ils doublent les crédits pour la
politique de développement rural, mais les fondements sont
toujours les mêmes. En fait, nous n’avons aucune nouvelle
initiative, nous n’avons aucune nouvelle idée en Europe, sur
comment soutenir les territoires ruraux. Et je pense que c’est
là une des problèmes majeurs pour l’Europe à 25. La société
agricole est sur place, elle est en train de demander de
l’argent, et le budget est là lui aussi pour – je veux dire –
des finalités de plus en plus bizarres, telles que ce que nous
connaissons déjà: l’aide aux régions les moins favorisées, la
retraite anticipée, la diversification des productions… Cela
veut-il dire que toutes les exploitations agricoles devraient
faire du tourisme à la ferme ? Klaus Meyn Pour moi l’horizon 2012 évoqué par Cled Thomas est tout à fait
acceptable. Mais je pense vraiment que ce qui vient après est
plein de risques et de dangers. J’ai lu la semaine dernière un
article de «The Economist» sur l’Argentine qui est en train de
cultiver du soja pour la Chine, pour satisfaire les besoins de
la Chine en soja. Je pense que nous pourrions avoir à faire face
à un monde totalement différent après 2012 en rapport avec le
volume de la demande chinoise. Et si nous revenons à la question
des subventions, qui est un autre aspect… Nous avons un prix du
lait qui est artificiel au niveau mondial, parce que le volume
de production que la Nouvelle Zélande et l’Australie peuvent
produire à ce niveau du prix mondial est relativement faible et
que leur potentiel d’expansion n’est pas si élevé que cela. Et
le niveau des subventions aux Etats-Unis et en Europe est du
même ordre de grandeur pour le lait, donc le seul problème est
celui de la viande de bœuf. On considère que l’Union Européenne
soutient fortement la production agricole. Mais ceci n’est pas
totalement correct: pour le porc et les volailles les
subventions sont sur le grain, pas sur la production, il n’y a
pas d’aides. Ainsi, les producteurs de porcs et de volailles
produisent déjà sans subvention. Par conséquent, ce qui va se
passer après 2012 est encore un sujet de spéculations. Jean-Claude Flamant Je vous propose de clore cette Table Ronde en insistant sur
quatre aspects qui me paraissent majeurs pour l’avenir du
secteur de l’élevage et des productions animales dans les pays
nouvellement membres de l’Union Européenne.: Atouts ou risques
de l’intégration ? Un nouveau modèle agricole ? Politique
agricole ou politique rurale ? Rôle futur de la recherche
zootechnique ?
Atouts ou risques de l’intégration ? Le premier intérêt de cette
Table Ronde est d’avoir mis en lumière l’importance à accorder
aux conditions spécifiques de cette intégration d’un point de
vue politico-économique. Tout particulièrement, il a été insisté
sur le fait que la politique agricole a été au cœur de la
construction européenne à ses origines dans les années 60-70,
avec des conditions de développement économique particulièrement
favorables qui ont permis d’assurer les ressources financières
nécessaire en appui aux agriculteurs et à leurs organisations.
Ce n’est pas le cas pour les nouveaux membres, comme l’a très
bien montré Alain Pouliquen: l’intégration politique est un
objectif en soi quelles que soient les conséquences et les
difficultés pour les activités agricoles, et les disponibilités
financières sont considérablement réduites, essentiellement
affectées aux indispensables investissements pour les
infrastructures et les équipements. Je note finalement l’accord
entre les membres du panel pour dire que les atouts et les
risques sont à évalués en prenant en considération le fait que
l’évolution se fait selon une logique «dualiste» des
structures des productions, soit de grandes exploitations
extensives, soit de petites fermes de subsistance: les deux
types de structure n’ont pas les mêmes chances dans le nouveau
contexte européen. Les grandes exploitations extensives peuvent
devenir compétitives en termes d’agrobusiness, mais les petites
fermes de subsistance voient leur intérêt potentiel pour la
production laitière limités par leur réalité humaine et sociale
dans le cadre des règlements de l’Union Européenne.
Un nouveau modèle agricole ? Ayez en tête qu’à l’origine de
cette Table Ronde nous avions pour projet de discuter la
possibilité pour les nouveaux membres d’explorer et de
développer de nouvelles modèles de production qui seraient
différents du modèle intensif des anciens pays, qui a à la fois
assuré la satisfaction des besoins alimentaires et entraîné des
effets négatifs sur l’environnement et les ressources
naturelles. En fait les premiers pays de la Communauté
Européenne ont réalisé une évolution de leur agriculture durant
trois ou quatre décennies qui a permis l’émergence d’une
majorité d’exploitations familiales et de taille moyenne. Ce
schéma n’est pas celui des nouveaux pays membres. En raison de
la forte volonté politique après la chute du Mur de Berlin,
l’évolution va se faire de manière extrêmement rapide, en dix ou
douze ans. Dans ce contexte, l’avenir des très nombreuses
petites fermes de subsistance est tout à fait critique: en
assurer le maintien durant au moins une génération est tout à
fait essentiel sous peine d’avoir à subir un exode massif dans
les villes avec des taux de chômages difficilement supportables.
Et, de plus, comme le souligne Klaus Meyn, les règles adoptées
par l’Union Européenne concernant la sécurité sanitaire des
aliments et auxquelles il faut se soumettre, vont avoir un effet
destructeur sur les filières de production de viande et de lait.
Politique agricole ou politique rurale ? En fait, l’agriculture
est désormais soumise à des considérations qui sont extérieures
aux questions de la production elle-même. IL est intéressant
d’écouter Emil Ervajec exprimer son regard sur les évolutions
qui sont intervenues durant tout le temps du processus de
négociations. Pour lui la nouvelle politique européenne est
d’abord faite d’une nouvelle logique de «mots»: l’intérêt des
décideurs politiques s’est par exemple déplacé vers ce qu’ils
ont appelé une politique rurale, mais sans objectifs clairs et
imaginatifs. Est-il vrai que la politique agricole va s’orienter
vers une suppression totale des subventions pour toute l’Europe,
les anciens pays comme les nouveaux, dans le cadre d’une
politique rurale avec une composante sociale forte, comme cela a
été dit par un intervenant ? Mais il y a une difficulté réelle a
effectuer des prévisions quant au commerce mondial des produits
agricoles souligne Klaus Meyn si l’on ne prend pas en compte la
montée en puissance des besoins de la Chine qui risquent de
modifier profondément le contexte international de la politique
agricole européenne.
Un nouveau rôle pour la recherche zootechnique ? C’est la
dernière question… Sa place doit être raisonnée dans le cadre
d’une grande incertitude quant aux évolutions politiques
concernant l’agriculture et aux évolutions économiques et
sociales de ce secteur dans les nouveaux pays membres. Faisons
tout d’abord le constat que les membres du panel sont unanimes
pour dire que «la recherche zootechnique a vécu son âge d’or».
Néanmoins, il y a place pour la recherche scientifique… mais
quelle recherche ? Franz Ellendorf argumente en faveur d’une
recherche qui privilégie la compréhension des systèmes de
production, leur efficacité dans les conditions du marché, mais
en prenant en compte les indicateurs du développement durable,
leurs capacités d’évolution, leurs effets sur la consommation
des aliments et leurs conséquences sur la qualité de
l’environnement. Ceci signifie que les programmes devraient
moins donner la prééminence aux orientations dans le champ des
biotechnologies, et devraient privilégier la coopération entre
des chercheurs de disciplines différentes. Pour les nouveaux
pays, Emil Ervajec considère qu’un effort important est à
réaliser de mise à niveau du potentiel de recherche par rapport
aux anciens membres de l’Union Européenne, avec l’aide des
instituts de ceux-ci. Et Klaus Meyn insiste sur l’insuffisance
des bases scientifiques pour les règlements qu’il faut désormais
respecter, notamment en matière de respect de l’environnement et
de bien-être animal.
1. QUELS SONT LES DÉFIS MAJEURS DE L’EUROPE ÉLARGIE POUR LE
SECTEUR DES PRODUCTIONS ANIMALES ?
2. QUELS SONT LES PRINCIPAUX FACTEURS QUI CONTRIBUENT AUX
CHANGEMENTS DE L’AGRICULTURE ET DE L’ÉLEVAGE ?
3. BÉNÉFICES POSSIBLES ET COÛTS DE CES CHANGEMENTS, RISQUES ET
PEURS AUXQUELS LE SECTEUR DE L’ ÉLEVAGE DOIT FAIRE FACE
4. LE RÔLE ET LES QUESTIONS DE LA RECHERCHE ZOOTECHNIQUE
QUESTIONS DE L’ASSISTANCE
CONCLUSION